Ce matin nous avons fait quelques pas dans la neige pour arriver jusqu’à l’école, un peu en retard mais pas pressés. Blanche et Aimé ont enlevé leur manteau et leurs chaussures pour enfiler les chaussons, Marcel les a regardés avec envie et je lui ai dit « l’année prochaine, tu pourras toi aussi accrocher ta cape sous ton prénom ».
Je ne savais pas encore.
L’année prochaine, Marcel, Blanche et Aimé n’accrocherons pas leur manteau sous leur prénom. La veille de la rentrée, nous n’irons pas cueillir les petits bouquets que les enfants offrent à leur maîtresse pour fêter le retour à l’école.
L’année prochaine, la porte de la petite école du village restera fermée. Plus de cris d’enfants pour marquer les heures, plus de légumes dans le potager, personne ne se souciera du sort de neuf enfants dispersés dans les écoles des villages alentours. Les grands arbres de la cour se sentiront bien seuls, ils protégeaient les secrets des enfants depuis toujours.
J’entends déjà les voix qui me diront que ce fermeture était inévitable, qu’elle était annoncée, je vois déjà les regards de ceux qui ont retirés leurs enfants de cette école parce qu’elle était condamnée, eux qui l’ont condamnée. Il nous fallait deux ou trois enfants supplémentaires. Nous étions sur le point de convaincre certains parents. Il est trop tard maintenant. Je me souviens de notre arrivée ici et de notre visite à la maîtresse qui a décidé de notre installation. Je me souviens avoir lu avec le sourire tous ces articles sur les écoles alternatives, celles qui promettent un enseignement différent à des parents prêts à payer des
fortiunes pour que le rythme de leur enfant soit pris en considération. Dans la petite école publique de notre village, Saint-Martin-de-Salencey, chaque enfant évolue a son rythme, de la moyenne section à l’entrée en sixième.
Les enfants font de l’histoire, de l’anglais et apprennent à s’occuper des plus petits. Au moment de cette entrée en sixième, quand il quitte le cocon, ils sont prêts. Depuis des années, ils ont appris l’autonomie sans subir la violence que les contraintes scolaires et les obligations peuvent représenter pour certains enfants. La maîtresse est toute seule pour sept niveaux et le respect des autres est obligatoire, comme à la cantine où les enfants mangent ce que la cantinière leur a préparé.
Elle connaît les goûts de chaque enfant. En décembre dernier, chaque vendredi, le menu et la salle à manger était dédié à une couleur. La cantinière conduisait le bus aussi. Personne ne sait où la maîtresse ira l’année prochaine. Depuis quelques jours, les enfants sont inquiets et moi je suis en colère. J’en veux aux parents qui ont changé leur enfant d’école. Is disaient anticiper une fermeture annoncée, j’en veux à ces parents de l’école voisine qui ont mené campagne contre une école trop différente, « trop bien » peut-être ?
J’en veux à certains élus qui ne se sont pas battus comme il le fallait. Quel intérêt à soutenir neuf élèves et quelques parents qui y croyaient encore? Les anciens du village nous racontaient que depuis trente ans, l’école avait toujours été en danger, à deux doigts de la fermeture. Cette fois-elle ferme, la décision est sans appel. J’en veux à l’inspectrice qui est venue annoncer a nouvelle en cherchant sa route pour venir à l’école, elle n’y était jamais venue. J’en veux à ce système, à ces ministres et à leur président qui sont arrivés à leurs fins, convaincre, même dans les campagnes les plus isolées, qu’il faut fermer pour regrouper, pour mieux fermer encore. J’en veux à ce système qui détruit et pilonne. La petite classe unique de notre village a sauvé plusieurs enfants en grande difficulté scolaire. La maîtresse ne préparait pas seulement de la tisane au thym à ses petits quand ils n’étaient pas bien. Elle apprenait l’autonomie à des enfants qui rejoignaient leur deuxième famille, tous les matins à neuf heures. Mais qui se soucie de neuf enfants qui apprenaient heureux, d’un village qui meurt et de la révolte qui me ronge tant je crois maintenant qu’elle est inutile et vaine.
Blanche, Aimé et Marcel sont inquiets, moi je suis triste pour les enfants, et pas seulement pour les miens.